02/04/2009
Dans mon taxi, les souffrances rentrent et sortent. Elles se déposent. Du handicap au pire vécu.
Du handicap au pire vécu. Offrande d'une sonate pour la vie de Jason, petit garçon retrouvé mort à Liège, tué par son père à coups de chaussure.
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Dans mon taxi, véhicule sanitaire que je conduis chaque jour, les souffrances rentrent et sortent. Elles se déposent.
Je reste seule avec des confidences, avec les paroles parfois très lourdes de mes passagers handicapés ou malades.
Des enfants aussi. Des personnes âgées.
“Qu’est-ce qu’ils ont les pères à nous faire ça,” me dit une enfant qui me révèle qu’une copine a subi la même chose qu’elle.
“J’ai eu raison de le dénoncer, n’est-ce pas ?”....
“C’est lui qui a tort, pas moi.”
“Ma mère me manque.”
Cette enfant a le regard clair et déjà un raisonnement très mûr. Elle regarde une autre enfant passagère et me dit : “Elle est belle.”
Comme on dit d’une rose qu’elle est belle.
Les roses, on ne doit pas les cueillir.
Ni violer les enfants.
Pendant des mois. Il l’a violée. Ce n’était pas son père mais un beau-père.
Pendant les absences de la mère.
Elle regarde le paysage. Je la conduis. Elle se sent apaisée dans mon véhicule.
Dans la journée, plus tard, je transporte un monsieur handicapé. Il était tétraplégique. Il a progressé à force de travail. Il est maintenant paraplégique.
Il est triste. Cela fait trois ans qu’il a eu ce maudit accident.
Je l’écoute. Il me dit que la souffrance physique, il n’y a rien de pire. Et la souffrance de voir les montagnes sans pouvoir les parcourir, les goûter.
La souffrance de voir des femmes et de n’avoir que le souvenir de l’ancien temps et des rêves présents qu’on fait mais qui ont le goût amer du réveil en fauteuil.
Je l’écoute et il me dit que les personnes valides ont bien de la chance et qu’elles devraient éviter de se plaindre pour des broutilles.
Mais parfois, pensais-je, les personnes valides sont tristes à mourir et certaines sont handicapées dans le coeur, amputées de leur enfant disparu, membre perdu dans l’immensité de l’univers... amputées d’un être aimé mort. Parfois, des personnes valides ont tant de charges et de difficultés à gérer que tout cela n’est pas que des broutilles.
Cet homme souffre terriblement. Il est comme dans une prison. Son corps ne le laisse plus libre de vivre comme il voudrait. Il laisse les volets lui ôter la vue des montagnes. Il a envie de les prendre et de les replanter en plein désert, là où il ne serait pas. Il ne veut plus de son fauteuil. Il se bat pour en sortir. Il voudrait l’emmener loin et revenir sans lui. Valide et libre d’aimer à nouveau, de courir les montagnes.
Je me retrouve seule dans mon taxi. Un taxi spécialisé.
Une musique s’élève dans le réceptacle du véhicule. “La Sonate au Clair de Lune” de Beethoven.
Le piano amène à moi l’image d’une tombe. Je vois une maman pleurer là où on a découvert le corps de son fils de trois ans enterré dans un sac.
Cet enfant s’appelait Jason. Il a été tué à coups de chaussures par son père. C’est la nouvelle compagne du père qui l’a aidé à enterrer le petit garçon. C’est elle aussi qui a avoué les faits et qui a révélé la fuite du père dans son pays.
Cela faisait des semaines depuis février que l’on recherchait le petit garçon. Il a été retrouvé le 19 mars près de Liège, en Belgique, là où il vivait avec son père.
Un père qui a fait de la prison pour vente de drogue et qui avait déjà été remarqué pour maltraitance sur son fils. Son fils qu’on lui a pourtant rendu à sa sortie de prison. Erreur fatale pour ce petit garçon.
Tué à coups de chaussures.
Le piano grandit en intensité. Je pense à Jason. Je vois sa vie, ses sourires, ses jeux d’enfants, sa pureté, son innocence, son émerveillement devant la vie, ses larmes, la douleur d’une vie maltraitée, d’enfant qui regarde l’adulte et qui a peur. Juste peur. Effrayé. Sans secours. Sans recours.
La pureté de la Sonate prend en elle toutes les souffrances dont je viens de parler et j’offre ces vies à l’Esprit qui détient la vie, à l’amour qui regarde les roses grandir sans les arracher.
La dernière note s'allonge dans la voiture. Le piano s'éteint. Mais une étoile brille. Pour Jason. Pour les enfants que je transporte. Pour chaque personne handicapée.
Chloé Laroche________________
Commentaires
22:28 Écrit par chloe38 dans Ne tirez pas sur l'ambulance | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : handicapé, paraplégique, taxi, ambulance, jason, enfant tué, viol enfant, beau-père violeur, handicap, piano, beethoven, musique, offrande, confidence, patient, maltraitance, enfant, souffrance, décès, mort, deuil, amputation, résilience, culpabilité, dénonciation, parole, vérité, liberté, métier, vocation, écoute, écoutant, écrivain, humanité, émotion, peur, amour universel, maladie, folie, compassion, pardon, révolte, justice, innocence, pureté | Facebook | |
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Ecrit par : Ruth | 05.04.2009
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